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Ignatus :"Quand Les Objets ont repris Joe Dassin,on s'est fait allumer par la presse rock !"


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Ma vie en musique

 

Ignatus : “Quand Les Objets ont repris Joe Dassin, on s'est fait allumer par la presse rock !”

 

 

 

 

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Ex-moitié des Objets dont ressort l'intégrale (deux albums !), Jérôme Rousseaux sévit sous le pseudo Ignatus depuis vingt ans, au croisement de l'électro et de la chanson. Il rassemble pour nous tous ses flashs musicaux, des Frères Jacques à James Blake. 

Sympathique singleton de la scène pop française, Ignatusa désormais une triple vie : artiste électro avec le projet [e.pok], conférencier érudit sur le rock et la chanson, il vient aussi nous rappeler qu'il fut la moitié des Objets, pionniers il y a vingt-cinq ans d'une pop en français inspirée des indés britanniques. Une « intégrale » de leurs deux albums vient de sortir en double CD (Sony/Legacy), et Ignatus se voit consacrer une « carte blanche » à la Java de Belleville, à Paris (vendredi 21 à 20h). On l'y entendra sous ses deux casquettes : Ignatus, et Les Objets reformés pour quelques chansons. L'occasion était belle de parcourir le paysage sonore qui l'a vu grandir et évoluer, des Frères Jacques à James Blake en passant par les StonesThe ClashBashungou Mark Hollis. 

 

 

Un air qui vous poursuit depuis l'enfance

 

 

 

 

 

 

Les Frères Jacques, et j'en choisirais deux : La Chanson sans calcium et Le Cirque. Mes parents m'avaient emmené les voir sur scène, j'avais l'album dédicacé, celui qui s'appelle justement Chansons sans calcium, un récital au Théâtre Fontaine. Ils n'ont jamais enregistré ce morceau en studio, seulement en live. Je l'ai énormément écouté, je connais tout par cœur. C'est le premier concert dont je me souvienne, dans un théâtre parisien. Ça a compté pour moi, il y avait une magie de la scène.

 

J'habitais en banlieue, à Pavillon-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Mon père était clerc de notaire, puis assureur. Mes parents étaient cultivés, je suis d'un milieu assez bourgeois, mais autour de moi c'était populaire.

 

Les Frères Jacques n'avaient pas d'équivalent. Par exemple, quand sont venus plus tard Les Wriggles, dans un registre voisin, je n'ai pas accroché. Mais les Frères Jacques, je n'ai pas réussi à faire aimer ça à mes enfants.

 

 

Premier disque acheté

 

 

 

 

 

Let it be, des Beatles. J'avais prévenu mon grand frère, parce qu'il était hors de question qu'on achète le même disque au même moment. On prenait le train tous les samedis pour aller à la Fnac. Je suis revenu avec le 45-tours de Let it be et là il m'a engueulé : fallait pas acheter le 45-tours, mais le 33-tours. Je devais avoir 9 ou 10 ans, ça venait de sortir, en 1969. A partir de là, mon frère a décidé qu'on allait se partager le monde, lui prenait les Beatles et moi les Stones. Après, il a regretté, il a demandé des dérogations : les Beatles ne sortaient plus de disques… Et moi j'étais fan des deux groupes, qui étaient énormes et occultaient un peu tous les autres.

 

 

 

 

Je n'ai suivi aucun des membres des Beatles en solo. Wings, je trouvais ça gentillet, et Lennon m'énervait un peu : il y avait de bonnes chansons mais Imagine, ça me gonflait. Je préférais leur côté rock.

 

 

Un modèle d'adolescence 

 

 

 

 

 

Les Rolling Stones. Groupe fétiche. Ceux des années 70, Exile on Main St, l'album que j'ai le plus écouté de ma vie, usé jusqu'à la corde. Et puis le concert aux Abattoirs de Pantin en 1976. Ce n'était pas ce que je préférais, la période Black & Blue… Mais j'avais 16 ans, et la chance d'avoir un grand frère. Il avait une R8, on a pris sa bagnole pour aller voir les Stones. Ça a été un choc, mon premier grand concert rock. J'étais plutôt Richards que Jagger, et puis j'adorais Mick Taylor : pour moi, quand il est parti, c'était la fin.

 

 

“A 20 ans je suis parti en Inde, jouer de la flûte.”

 

 

A l'époque on était fasciné par les disques, le son, les pochettes. Et cette musique qui te rentrait dedans. Je me demandais : comment on fait ça ? Mon problème c'est que j'étais pianiste, j'ai commencé le piano à 9 ans, et quand t'achetais le songbook des Stones et que tu essayais de les jouer au piano, ça ne donnait rien. A l'adolescence, j'écoutais aussi du jazz, de la musique classique. Je me suis mis au piano jazz. Duke EllingtonMonk, et puis ColtraneMiles Davis. Puis à 20 ans je suis parti en Inde, jouer de la flûte.

 

 

Meilleur groupe jamais vu en concert 

 

 

 

 

 

The Clash. J'ai retrouvé les tickets, il y a le concert de Mogador en 1981, l'Hippodrome de Paris (1981 aussi), mais je crois que le souvenir le plus fort c'est le Palais des Sports, en mai 1980, après la sortie de London Calling. Je les ai vus au moins trois fois, et ça c'était une déferlante, c'était très impressionnant : une énergie, un truc ravageur.

 

Le punk, ça passait d'abord par les disques. Quand je suis allé à Londres en 1978, j'étais encore en baba cool, barbe et cheveux longs, je faisais du stop. Et je me suis retrouvé dans des concerts qui duraient 20 minutes, avec des mecs qui crachaient. Mais je me souviens mal des autres groupes punk, ça reste surtout le Clash. Avec eux, il y avait l'énergie rock, des personnalités très fortes, et aussi l'évolution vers les musiques du monde, dans l'album Sandinista… Je commençais à apprécier le reggae, d'autres musiques que le rock et le jazz. Ça m'a emmené ailleurs.

 

Peu de temps après je me suis acheté un synthé, j'ai joué dans des groupes rock, fait un peu de sax. Mon premier groupe, Blue Streak, c'était dans le Pas-de-Calais, Hardelot-Plage, à côté de Boulogne-sur-Mer. Très stonien, et chanté en français. Les Objets sont nés là un peu plus tard. Olivier Libaux (l'autre moitié du groupe et futur cofondateur de Nouvelle Vague, ndlr) est originaire d'Outreau. Quand il est venu à Paris, on a redémarré tous les deux.

 

 

Une chanson qui changea tout 

 

 

 

 

 

Il y en a eu plusieurs, selon les périodes, et c'était plus des albums que des chansons. Endtroducing de DJ Shadow correspond à la transition entre Les Objets et Ignatus, de la pop à un travail plus électro sur l'échantillonnage, les samplings… DJ Shadow, c'était la grande claque. Olivier était le compositeur des Objets, moi j'écrivais les textes. J'étais fan de pop mais pas seulement. Je ne suis ni un compositeur, ni un super guitariste, et cette recherche de la mélodie parfaite, ce n'est pas trop mon truc. Les Beatles ont tout fait, pourquoi courir après ? Je suis allé chercher autre chose ailleurs, de plus novateur. Dans l'album Endtroducing, je prendrais The Number Song, avec une boucle assez dynamique et rentre-dedans, et Changeling. Entendant ça, j'ai acheté un échantillonneur et c'est devenu Ignatus.

 

Sinon, il y a La Solitude de Barbara, une chanson qui m'a marqué, à un moment où j'étais très rock, j'avais 20 ans et je trouvais la chanson française ringarde. Et devant celle-là j'étais bluffé : ah ben putain quand même, la chanson ! Il y a là-dedans l'intensité, la noirceur, la densité du rock. C'est Lou Reed en chanson, la classe.

 

 

La meilleure chanson sur les insectes à part “La Saison des mouches” des Objets

 

 

 

 

 

Il y en pas mal en fait, j'ai d'abord pensé à Polnareff avec La Mouche, que j'adore, avec une rythmique de folie. Il a aussi écrit Le Roi des fourmis. Mais, mais… j'ai plutôt envie de citer un groupe moins connu, Arlt : Une sauterelle (dessinée par un fou). Pour moi ils sont les meilleurs représentants d'un folk lo-fi à la française. J'adore le travail de Mocke à la guitare. Cette chanson est très courte mais géniale. Un groupe vraiment à part.

 

 

L'artiste que vous vous flattez d'être le seul à connaître

 

 

 

 

 

Je dirais Epic Soundtracks (le pseudo du musicien britannique Kevin Paul Godfrey, 1959-1997, ndlr), qui est juste un peu connu. Ceux qui le connaissent sont tous fans. Pour moi, ça a été une déflagration. Comme je le disais, je suis pianiste et c'est un gros problème quand on est aussi fan de pop et de rock : il y a si peu à jouer ! Très peu de modèles, à part Elton John et Jerry Lee LewisJohn Cale à la rigueur. J'avais enfin un modèle au piano, qui faisait des choses magnifiques, bouleversantes même, dans un esprit rock. L'album Rise above (récemment réédité en vinyle et en CD avec de nombreux bonus, ndlr), je l'ai beaucoup écouté. Un morceau particulier dont je me souviens, ce serait She sleeps alone. Je suis triste qu'on soit si peu à le connaître…

 

 

La chanson des Objets dont vous êtes le plus fier 

 

 

 

 

 

Aidez-moi, sur le deuxième album. Parce qu'elle ouvre vers un autre type d'écriture, qui va être celui d'Ignatus. Quand je réécoute Les Objets, j'ai un petit sourire indulgent, amusé, ce sont des œuvres de jeunesse. Au niveau des textes, c'est un peu naïf, il y a des facilités, c'est le côté pop, la recherche d'une chanson agréable. Ça fonctionnait parfois, comme dans La Saison des mouches. Après, j'ai eu une évolution stylistique forte. Aidez-moi me plaît parce qu'elle a un côté surréaliste, c'était une première pour moi, un galop d'essai, un truc que j'ai creusé ensuite avec Ignatus, où je vais plus me pencher sur l'écriture.

 

 

“Une chanson sur les mouches, c'était plus intéressant à écrire qu'une chanson sur les filles.”

 

 

Olivier, lui, était le roi des mélodies, des arpèges de guitare, il aurait plutôt cité Qui est qui, ou La Normalité, qui est aussi une sacrée chanson. En deuxième, j'aurais mis La Saison des mouches, qui a été un déclic. Au départ, c'était juste une face B. Il y a une liberté, une légèreté dans l'écriture, tout en restant très pop. Une chanson sur les mouches, c'était plus intéressant à écrire qu'une chanson sur les filles.

 

 

Une chanson pop un peu honteuse mais que vous adorez

 

 

 

 

 

Ça pourrait être Tom Jones, It's not unusual et Not responsible, des morceaux que je passe tout le temps dans les fêtes. C'est assez kitsch. Mais si on veut pousser le curseur plus loin vers le kitschissime, un truc que j'ai découvert récemment sur Internet et que j'ai revu plusieurs fois tellement c'est hallucinant : Barry ManilowCopacabana. Très honteux mais hilarant. Je l'ai encore écouté il y a trois jours et ça m'est resté en tête. Il y a cette version dans une émission télé, qui date de 1978 et dure 5 minutes, on est sidéré du début à la fin. Au début, il porte un sweat avec un col pelle à tarte par-dessus, c'est une énigme ce mec, il n'est pas très beau, c'est un crooner et là on voit qu'il se marre…

 

Le succès de Barry Manilow est un vrai mystère, il était énorme à ce moment-là. La chanson est en deux parties, il se change au milieu, il revient avec des manches à froufrous, entouré de chanteuses brésiliennes… Cette chanson est incroyable, il y a un orchestre qui joue en direct, genre grosse production à l'américaine. Un ovni total, un sommet du kitsch ! Et j'adore ça.

 

 

La plus belle chanson de rupture 

 

 

 

 

 

James BlakeLimit to your love, la reprise de Feist. Je ne sais pas si c'en est une, en fait, mais elle est tellement belle. Jusqu'à la fin, on peut croire que c'est une chanson de rupture mais la dernière phrase laisse penser que non. Ma plus grande claque artistique depuis dix ans, c'est James Blake. Mon nouveau projet [e.pok] vient un peu de cette découverte, l'idée d'épurer, de faire du beau avec un minimum de choses, un minimalisme que pratiquaient déjà des gens comme Mirwais ou même Prince. Mais avec lui, ça prend des proportions hallucinantes.

 

Donc dans Limit to your love, la fille en question trouve que l'autre ne l'aime pas assez, on peut penser qu'il y a rupture, mais à la fin elle dit : « Moi, mon amour n'a pas de limite… » Ce qui peut aussi vouloir dire qu'il y a séparation. Elle continue à l'aimer et lui ne l'aime pas autant qu'elle l'aime. Je trouve ça absolument poignant.

 

 

Une chanson que vous auriez aimé écrire 

 

 

 

 

 

Une de Bashung sans doute, parce qu'en termes de chanson, c'est le patron. Le grand monsieur de l'après-Gainsbourg… J'aime tout Fantaisie militaire et tout L'Imprudence. Mais s'il faut en choisir une, je prends Mes bras, sur L'Imprudence, pour moi sans doute le plus bel album de chansons jamais écrit. Ça aurait pu être aussi Tel

 

Mes bras connaissent…, c'est un bijou de texte, d'ambiance. J'ai toujours aimé Bashung mais avant, je le suivais par intermittence, j'avais assez peu d'albums, à part Chatterton. Les deux que j'ai cités sont des disques majeurs, je les ai énormément écoutés. C'est le travail avec Jean Fauque, peut-être. Il y a une beauté dans l'adéquation entre les textes et la musique, sans faire de mélodie, qui est incomparable.

 

Côté pop, j'aurais pris l'album Laughing stock de Talk Talk, mais il s'agit moins de chansons que d'ambiances. Avec Mark Hollis, il y a une énigme : il a connu le succès, et puis plus rien. Cette recherche de la perfection, un peu maniaque, c'est parfois le meilleur moyen de ne pas finir les choses. Pas mal d'artistes se sont noyés là-dedans. C'est l'histoire de Brian Wilson aussi. Mark Hollis devrait être au panthéon des grands artistes du XXe siècle, je trouve ça injuste qu'il ne soit pas plus considéré. Ce mec est un génie.

 

 

Un groupe français actuel en qui vous vous reconnaissez 

 

 

 

 

 

Je dirais Frànçois and the Atlas Mountains. J'aime leur démarche, leur son, cette façon de mélanger pop, rock, chanson, musique africaine, assez décomplexée par rapport aux modèles anglo-saxons. C'est un groupe que je respecte énormément. J'aime beaucoup aussi Feu ! Chatterton, puis des gens comme Dominique A ou BabX. Je suis plus marqué par les individus.

 

Je prépare d'ailleurs pour les prochaines Transmusicales de Rennes une conférence sur le retour des groupes français qui chantent en français. C'est cyclique. On a vécu ça avec Les Objets, on était quasiment le premier groupe pop, avec Gamine, à signer sur une major en chantant en français. Quand on a commencé à tourner, c'était l'horreur, parce que le terrain n'était pas défriché. On était soit dans le circuit underground, des caves infâmes, soit dans le créneau variété, pizzerias… On n'était relayés que par Lenoir et Les Inrocks. C'est Dominique A qui a montré la voie, avec Katerine, etc.

 

Il y a aussi maintenant une désinhibition vis-à-vis de la variété. Ça n'est plus honteux de se réclamer de Delpech ou Balavoine. Quand Les Objets avaient participé à une compile de reprises de Joe Dassin, on s'était fait allumer par la presse rock !

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