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Damso, le pornographe mélancolique du rap


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En deux albums, le rappeur belge a imposé son style, mélange de paroles crues et de mots tendres. Pour la première fois, il se produit en salle dans un Olympia archi complet. 

« On me dit que j’ai une voix de baryton… »Dans le hall d’un hôtel parisien, il répond aux questions, amical et concentré, d’une voix posée, si basse qu’on doit souvent se pencher pour ne pas perdre ses mots. Le rappeur belge Damso, de son vrai nom William Kalubi, né il y a vingt-cinq ans à Kinshasa (République démocratique du Congo), est un timide géant d’1,92 m qui soupèse chaque mot. Il y a deux ans, il était un inconnu. Ses deux albums, Batterie faible (2016) et Ipséité ( 2017), l’ont hissé parmi les artistes qui cartonnent.

 

 

Triple disque de platine en France

 

 

Six mois après sa sortie, Ipséité est disque d’or en Belgique (1) et triple disque de platine en France (2) . Voilà qui peut surprendre. Car on entend rarement Damso à la radio. « Des gens de mon label m’ont dit que ma chanson 

, peut-être la plus accessible et enjouée, avec son piano pop, aurait été davantage diffusée sans la phrase “Rappelle-toi quand t’avais des courbatures/ Je t’avais bien niqué ta race” »,sourit-il avec cet air radieux qu’ont les gosses après avoir lâché un gros mot.

 

Ce « je t’avais bien niqué ta race », banni des radios, à l’effet comique voulu, paraît bien désuet et inoffensif en regard de nombreux autres mots et formules de style du rappeur, où les « j’ t’encule » pleuvent comme le crachin sur la Bretagne. A la première écoute de Batterie faible et d’Ipséité, sur fond de beats lents et espacés, avec douces ornementations instrumentales empruntées à la pop ou à la rumba congolaise, on est écartelé entre deux sentiments : touché par l’ample voix de gorge, mâle et triste, parcimonieusement humidifiée par les effets ; et choqué par l’enfilade de scènes de sexe explicites.

 

Des images crues que le rappeur alterne, souvent à l’intérieur d’une même chanson, avec d’autres visions bien plus sentimentales, à la manière d’un photographe qui changerait d’objectif pendant sa prise de vue. « Loin des plages ensoleillées, j’ai su trouver sommeil/ Le cœur sur une plaque allumée, j’écoute Agnès Obel », chante-t-il ainsi sur Exutoire, hommage inattendu à la chanteuse pop danoise, dont il sample la chanson 

. Passé ce choc de la grossièreté brandi comme un étendard de liberté, reste une évidence : de la tristesse ou de la pornographie, on retient la tristesse, de belles figures de style, des ambiances inédites et une intensité dramatique à laquelle le rap francophone ne nous a guère habitué.

 

“Il m’était impossible de retourner chez mes parents. Je n’avais d’autre choix que de réussir, contre leur avis, dans le rap.”

 

Agnès Obel, le rappeur l’a beaucoup écoutée. Quand, en 2014, après avoir abandonné au bout de quelques mois ses cours d’économie à l’université protestante du Congo où l’avait expédié son père, il se retrouve sans domicile à Bruxelles, dormant dans les halls d’immeubles ou les squats. « Heureusement, cette période de galère n’a pas duré longtemps, environ quatre mois, se souvient-il. Il m’était impossible de retourner chez mes parents. Je n’avais d’autre choix que de réussir, contre leur avis, dans le rap. »

 

 

Histoire d’un déclassé et déraciné

 

 

L’histoire de William Kalubi, né d’une mère sociologue et d’un père cardiologue, est celle d’un déclassé et d’un déraciné. Cadet d’une famille de six enfants (quatre frères et une sœur), il grandit à La Gombe, le quartier des privilégiés à Kinshasa. « Je garde des souvenirs merveilleux de ma petite enfance, comme ces promenades en voiture avec mes grands frères, la sono poussée à fond. » Ce bonheur ne dure pas. En 1998, une terrible guerre civile éclate en RDC, qui aboutit à l’assassinat du président Kabila (en 2001).

 

“Les coups de feu qui claquent la nuit ; les rebelles, [qui] allaient envahir le [...] cette peur ne m’a jamais quitté.”

 

A 7 ans, Damso commence à écrire des petites histoires, qui se terminent souvent mal. « Elles étaient mon jardin secret. Comme je ne les montrais pas, personne ne me jugeait ou ne me notait. Avec le recul, je me dis que ces petites histoires écrites chaque jour étaient motivées par la tension diffuse que je percevais autour de moi : les coups de feu qui claquent la nuit ; les rebelles, dont j’entendais qu’ils allaient envahir le quartier. Ma peine d’enfant d’entendre des cris : cette peur ne m’a jamais quitté… » 

 

 

La découverte brutale de la Belgique 

 

 

Damso a 9 ans quand sa mère déménage à Bruxelles, emmenant avec elle la fratrie. Son père reste à Kinshasa… La découverte de la Belgique est brutale. « Dès l’arrivée à l’aéroport, j’ai entendu quelqu’un hurler : “Rentre chez-toi !” » Voilà l’enfant des beaux quartiers devenu, comme il le chante, un « Africain sans gouvernement, sale nègre dans la grande ville ». Damso construit ses chansons coups-de-poing autour du même thème : les autres et moi. A qui faire confiance ? Comment se comporter ? A l’ego trip, il préfère l’examen de conscience, sans fard ni filtre, et fait mouche. Comme dans Une âme pour deux (+ 18), qui clôt Ipséité, où il est un moraliste à sa façon, anxieux et dérangeant.

 

“Je ne vais pas me censurer. Si les gens, en m’écoutant, se posent des questions sur eux-mêmes, tant mieux…”

 

« J’écris pour chercher à me comprendre. Alors je ne vais pas me censurer. Si les gens, en m’écoutant, se posent des questions sur eux-mêmes, tant mieux… » En forçat de la punchline, il écrit chaque jour. « Ce n’est pas facile de décrire des situations compliquées avec des mots simples. Il y a tant de thèmes que j’aimerais aborder. Mais je n’ai pas encore la construction mentale, ou l’expérience, pour le faire. Que ressent-on à l’hiver de sa vie ? J’aimerais pouvoir ainsi me glisser dans la peau d’une personne âgée. En fréquenter, ce serait peut-être le moyen de relever ce défi d’écriture… » 

 

Charismatique sur scène, comme on s’en est rendu compte lors de l’une de ses premières apparitions au festival We Love Green, en juin dernier, le rappeur ne s’est jamais produit dans une salle de concerts. A-t-il peur à la veille de sa tournée ? « Ce qui me ferait très peur, la célébrité venant, serait de ne plus avoir peur. Le plus terrible serait que je manque d’attention envers les autres. On ne part pas à la guerre pour être tranquille… » 

 

 

 

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