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Avec “La Science du coeur”, Pierre Lapointe se met enfin à nu


serdam

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Aux commandes d’un septième album intense, Pierre Lapointe brouille savamment les pistes entre pop, variété et classique. Le chanteur québécois y ausculte l’amour et le désamour dans un tourbillon d’instruments.

 

Entre nous, tout avait démarré sur les chapeaux de roue : un reportage vidéo à Montréal, où il vit ; un concert inédit dans la cour du journal. Et, histoire de ne laisser personne sur le carreau, une discussion en ligne ouverte à tous : un chat, ou plutôt un « tchat », comme on disait à l’époque… Cette seule évocation vous rappelle la préhistoire de la communication 2.0. ? Sans doute. Nous étions en 2006, Pierre Lapointe avait 25 ans. Chez lui, c’était déjà une star ; en France, il demeurait un parfait inconnu. Son deuxième ­album allait sortir de ce côté-ci de ­l’Atlantique ; on en aimait le verbe riche et ambitieux, nourri autant de tradition que de modernité, d’ellipse pop que de recherche littéraire.

 

Le temps a passé. Lapointe a tracé son chemin, de plus en plus célébré chez lui… mais cantonné en France à une audience essentiellement parisienne — même si un patron de France Inter, convaincu de son talent, est allé jusqu’à lui confier une chronique matinale sur une grille d’été il y a trois ans. Pourquoi donc la greffe ne prit-elle pas ? Pourquoi nous-mêmes nous sommes-nous peu à peu détachés de cet incontestable surdoué ? Parce que justement, disque après disque, le jeune homme a beaucoup mis ses dons en avant, dans des excès de démonstration et de sophistication. Avec une arrogance (peut-être feinte, c’est du moins ce qu’il assure) qui n’a pas ­aidé à nouer le contact. Osons le dire : avec son air d’avoir tout compris, Pierre Lapointe avait fini par être irritant. Et si au Québec, face au parler familier des Charlebois and Co., il montrait en effet une belle exigence de langue, au pays d’Anne Sylvestre et de Georges Brassens on n’avait guère besoin de lui pour savoir que la chanson peut être poétique.

 

Et voilà qu’aujourd’hui, onze ans après le déclic initial, Pierre Lapointe nous enchante à nouveau. A vrai dire, l’album précédent, Paris Tristesse(2014), avait déjà donné le la : dans le dépouillement d’un piano-voix, le chanteur revisitait élégamment son parcours, rappelant au passage ses vertus d’auteur, raffiné, de compositeur, puissant, et d’interprète, présent. Ne manquait plus, pour célébrer nos retrouvailles artistiques, qu’un nouveau disque original et intense, dont la sincérité saurait nous émouvoir. Tel est donc celui-ci, septième album studio qui ausculte sans romantisme l’amour et le désamour. Pierre Lapointe en a désormais vu assez pour connaître son sujet.

 

 

Frôler le vertige

 

 

L’heure du grand succès français a-t-elle pour autant sonné ? Sans doute pas. Son disque n’est pas assez pop pour gagner sa place en radio. Pas variété non plus. Et pas si classique que cela. Surtout, il est beaucoup trop lucide. Au fond, c’est tant mieux. L’âpreté du propos et la liberté musicale lui confèrent une force dramatique dès le premier titre, le saisissant Science du cœur, qui donne son nom à l’ensemble et s’avance d’abord à découvert — a cappella —, avant qu’une myriade d’instruments n’entrent dans la course : le tourbillon qu’ils déchaînent s’accélère alors comme le temps qui passe, au risque de frôler le vertige. « S’étourdir est un remède facile quand l’âme a la nausée », chante Lapointe dans ce tableau sans merci d’une vie qui s’abîme ; on s’étourdit avec lui. Sa voix est traversée d’élans liturgiques, égrenant la vanité de l’existence (Qu’il est honteux d’être humain), autopsiant un sentiment amoureux vidé de ses feux (Alphabet, Zopiclone), s’interrogeant sans fin sur ce qui nous anime (Naoshima, Un cœur) ou renouant, au moment où on s’y attend le moins, avec le chant de tous les possibles (Mon prince charmant). Souvent, Lapointe interpelle : « Sais-tu vraiment qui tu es ? »… mais est-ce à un autre, ou plutôt à lui-même, qu’il adresse ses constats sans fard ? Allez savoir. Disque à tiroirs.

 

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