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Et Pink Floyd fracassa le mur du son


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Et Pink Floyd fracassa le mur du son

 

 

 

 

 

 

 

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Pour sa tournée “The Wall” de 1980, dans des stades survoltés, les Anglais font voler des cochons gonflables ou s’écraser un avion de chasse. Ce nouveau genre scénique, théâtral et “total”, révolutionne le show musical. Une déflagration.

 

 

Plein les mirettes ! Gigantesques gerbes de feu, marionnettes hautes comme des immeubles, projections sur écrans géants, énormes cochons gonflables dans les airs, faux groupe masqué, crash d’un avion de chasse sur scène : la tournée The Wall n’a pas fait dans la demi-mesure. Lancée en février 1980 à Los Angeles, quelques mois après la sortie du double album éponyme des Pink Floyd, cette série de spectacles a fait date. Largement inspiré de la vie et des névroses de Roger Waters, ce concept-album où le bassiste et cofondateur du groupe expose ses souvenirs d’orphelin de guerre, la rigueur des public schools anglaises et son ultramoderne solitude, a engendré les dispositifs scéniques les plus fous. Avec, comme point d’orgue, l’érection pendant toute la durée du concert d’un mur de 50 mètres de long sur 12 de haut (!) qui finit par séparer le groupe de son public, avant d’être démoli dans un grand chaos final. Colossal symbole.

 

La tournée est triomphale. Les trente et une dates se jouent à guichets fermés dans des stades et des parcs d’exposition, devant plusieurs centaines de milliers de spectateurs. Depuis le phénoménal succès de The Dark Side of the Moon en 1973 (l’un des albums les plus populaires de tous les temps, avec cinquante millions d’exemplaires vendus !), le groupe compte d’innombrables fans qui guettent chacune de ses apparitions. Mais avec The Wall, le quatuor anglais formé de Roger Waters, David Gilmour, Nick Mason et Richard Wright passe encore une vitesse. Le public, comme la critique, s’enflamme. «Jamais plus personne ne pourra considérer les maladresses techniques, un son pourri et des visuels un peu chiches comme quelque chose d’inévitable dans les concerts de masse, estime à l’époque le New York Times. The Wall est désormais la référence absolue, l’aune à laquelle les futurs spectacles rock devront être mesurés. » Un nouveau genre vient de voir le jour qu’en bon démiurge Waters baptise le « théâtre rock’n’roll ». Soit un spectacle « total » articulé autour d’une histoire, qui met en scène des personnages et mélange musique, paroles, images, jeux de lumière, architecture et effets spéciaux. Cette vision presque wagnérienne du rock n’a rien d’une création ex nihilo.

 

Comme le montre la grande rétrospective que le V&A Museum leur consacre à Londres, les membres de Pink Floyd s’interrogeaient depuis longtemps sur les conditions, la mise en scène et le devenir de leurs performances publiques. Dès 1967, Syd Barrett, le charismatique fondateur du groupe, déclare : « Nous pensons que la musique et la lumière sont complémentaires. Elles se mettent en valeur et se renforcent mutuellement. A l’avenir, les groupes devront offrir plus que de simples concerts, ils devront proposer des spectacles théâtraux bien conçus. » Une prophétie qui, malgré le retrait prématuré du jeune meneur, rongé par la drogue et la dépression, se réalise les années suivantes. Grand amateur de diapositives psychédéliques, de lentilles kaléidoscopiques et de lampes à huile à ses débuts, le groupe de Cambridge étoffe graduellement son dispositif scénique. Un choix qui tient d’abord à sa singularité. Décapité par le départ de Barrett début 1968, le Floyd n’a pas de leader naturel de rechange. Peu à l’aise en public ou avec les journalistes, les autres membres font profil bas et préfèrent s’effacer derrière leur musique. Comme le disait plaisamment l’un des plus éminents spécialistes du rock outre-Manche, John Peel, « ils auraient pu sans problème se mêler à la foule de leurs spectateurs sans que ces derniers les reconnaissent ».

 

 

“Jouer notre musique n’était plus suffisant.”

 

 

Sophistiquées, souvent instrumentales, aux antipodes des chansons formatées pour la radio, leurs compositions n’ont d’ailleurs pas besoin d’être « incarnées ». Mais le succès n’est jamais sans conséquences. « AprèsDark Side of the Moon, nous avons commencé à jouer dans des stades de plus en plus gigantesques, se souvient David Gilmour, le guitariste. Pour la grande majorité des spectateurs, nous n’étions plus que des points dans le lointain, des silhouettes minuscules et un peu chiantes sur scène. Jouer notre musique n’était plus suffisant, nous nous sommes donc demandé comment faire un spectacle pour des milliers de personnes, comment transformer un concert en un événement auquel chaque spectateur pourrait pleinement participer. La sonorisation globale, les objets géants et les écrans sur lesquels étaient projetés des films d’animation sont ainsi devenus notre marque de fabrique. »

 

Dès lors, les rockers britanniques s’entourent de nombreux collaborateurs. Scénographes, stylistes, cinéastes, peintres, décorateurs, experts en light show et en pyrotechnie : un essaim d’artistes et de techniciens prépare les tournées souvent très en amont. Parmi eux, Storm Thorgerson et Aubrey « Po » Powell, amis d’enfance et fondateurs du studio Hipgnosis, qui signent la plupart de leurs pochettes d’albums ; le sculpteur et cinéaste Ian Emes, qui conçoit les films d’animation ; ou encore l’illustrateur satirique Gerald Scarfe, qui imagine les terrifiants personnages de la mère dévorante et de l’instituteur sadique dans The Wall. Pour ce qu’il considère déjà comme l’oeuvre de sa vie, Waters voit grand. Conscient dès le départ que The Wall ne sera « pas seulement un disque, mais une série de spectacles et un film » (réalisé par Alan Parker en 1982), le nouvel homme fort de Pink Floyd, ancien étudiant en architecture, prend contact avec Mark Fisher, architecte de renom.

 

 

Des cohortes de semi-remorques

 

 

Tous deux parlent le même langage. Fisher, qui a déjà fait voler un cochon gonflable dans le ciel britannique lors de la tournée précédente, est un spécialiste des architectures temporaires, des structures démontables, des pneumatiques – et autres matériaux développés pendant la Seconde Guerre mondiale ! Avec son associé Jonathan Park, ingénieur de son état, il accomplit de petits prodiges scéniques totalement inédits, notamment en matière d’élévateurs, d’escamotage, de scènes amovibles, de maçonnerie et de… sécurité. Le résultat est époustouflant. Du Méliès grandeur nature à une époque où l’informatique est balbutiante et où les trucages numériques relèvent encore de la science-fiction. Avec une différence de taille par rapport aux plateaux de cinéma ou aux grandes salles d’opéra, The Wall est un spectacle itinérant. Décors, accessoires, scène, machinerie : tout est conçu pour être replié et transporté d’une ville à l’autre par des cohortes de semi-remorques, y compris les énormes briques (quatre cent vingt !) qui composent le mur.

 

Devant cette surenchère de moyens, les autres « supergroupes » ne peuvent être en reste. Des Rolling Stones à U2,en passant par Michael Jackson , tous s’engouffrent dans la voie du gigantisme. Nul pourtant n’ira aussi loin. Trop compliqué et surtout trop coûteux. Jamais révélées, les dépenses engagées sont à la hauteur de l’entreprise, pharaoniques. Malgré le succès, la tournée n’est pas rentable ; le groupe perd de l’argent et, miné par les tensions et des problèmes d’ego, ne tardera pas à imploser. Reste la fierté légitime d’avoir soulevé des montagnes et marqué l’histoire du rock. Et pour Waters, la satisfaction d’avoir apprivoisé les stades. «Ces endroits n’ont pas été conçus pour la musique, mais pour des compétitions sportives qui ne sont rien d’autre qu’une guerre ritualisée. Je me suis souvent demandé ce que je foutais là, pendant des années la réponse n’avait rien de glorieux : le fric et l’ego. Avec The Wall, j’ai l’impression d’avoir remis un peu de sens dans tout ça. »Viscéralement anti-Trump, le rocker de 73 ans a décidé de remonter son spectacle sur la frontière mexico-américaine. Après avoir joué à Berlin en 1990 devant les vestiges du rideau de fer, Waters, qui refuse également de se produire en Israël, a transformé sa catharsis en brûlot politique. The Wall, une œuvre passe-muraille.

 

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