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“Sgt. Pepper”, 50 ans et toujours révolutionnaire


serdam

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 Hiver 1966, les Beatles, épuisés par leur tournée américaine, se lovent dans le cocon du studio d'Abbey Road pour cinq mois. L'album qui en sortira, ses inventions, ses audaces, propulse le groupe au firmament de la pop. Retour sur “Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band” en six commandements.

 

 

En Angleterre, royaume provisoire de la pop, l’année 1967 se divisa en deux parties. Avant le 1er juin, l’attente du nouveau Beatles. Après cette date, à laquelle paraît Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band,la célébration de l’œuvre la plus ambitieuse du groupe le plus populaire, et son effet immédiat sur les consciences. C’est l’heure pile où la consommation insouciante de chansons en 45 tours va faire place à l’écoute assidue d’albums entiers. On ne parlait pas de « culture pop » à l’époque, mais elle est peut-être née cette année-là, dans sa dimension universelle et irréfutable. Et c’est ainsi que le huitième disque des Beatles est devenu la huitième merveille d’un nouveau monde et pourquoi pas sa symphonie. 

 

Ironiquement, les réactions les plus grinçantes à cet anoblissement sont venues des amateurs de rock radicaux, pour qui cet album luxuriant, peaufiné en studio des mois durant par des musiciens dont le moindre caprice était satisfait, signait l’embourgeoisement définitif – voire la mort – d’une musique née rebelle, ici enclose dans un théâtre d’artifices.

 

A l’exception d’un journaliste du New York Times, qui traîna quelque temps sa critique négative comme un boulet, Sgt. Pepper’s fut couvert d’éloges et les Beatles promus Mozart de la pop. Surtout, avec cet album d’une sophistication sans précédent, le groupe, qui donnait le la depuis déjà quatre ans, devint plus que jamais un modèle à imiter. C’est pourquoi l’estimation de son présumé chef-d’œuvre – et qui n’est pourtant, faites le test autour de vous, le préféré de personne – est aujourd’hui une chose impossible.

 

Simplement parce que sa propre richesse – quelques sacrées bonnes chansons, tout de même – n’a cessé d’être augmentée par tout ce qui convergeait vers sa fabrication (disques des groupes rivaux, air du temps, vestiges de culture anglaise d’un coup rénovés), puis par tout ce qui en a découlé (ouverture du spectre musical, primauté du format long et du concept, rock « progressif »…). Déconnecté d’une réalité que l’année suivante allait rendre politique et brûlante, Sgt. Pepper’strône en haut d’un Taj Mahal pop, et il ne tient pas tout seul. On peut traduire cette suprématie par six commandements qui seraient ceux du militaire d’opérette imaginé par Paul Mc Cartney. Ils sont à prendre aujourd’hui avec les pincettes du recul historique. Mais ils auront marqué leur temps.

 

 

1. En studio tu t’enfermeras

 

 

Le 29 août 1966 marque une première fin pour les Beatles. Ce soir-là, ils quittent le Candlestick Park de San Francisco, sa scène entourée de grilles et ses 25 000 spectateurs, avec soulagement. Cette tournée américaine des stades les a achevés. John, Paul, George et Ringo en ont marre d’être ce quatuor en uniforme condamné à jouer au milieu des cris les morceaux les plus simplement rock d’un répertoire qui ne cesse de s’affiner de disque en disque. Ils n’ont qu’une hâte : se changer les idées. Puis se retrouver dans le cocon rassurant du studio Abbey Road, gouverné par le producteur George Martin , et n’avoir plus affaire qu’à leur musique. Le 24 novembre 1966 débute l’enregistrement d’un nouvel album qui ne sera achevé qu’en avril suivant. Cinq mois de gestation, aucun groupe pop n’avait connu pareil luxe. Des centaines d’heures quand une dizaine avaient suffi à compléter quatre ans plus tôt le premier album des Beatles, Please please me. « Une période ridiculement longue », plaisantera plus tard Martin. « Tout devait être différent », dira quant à lui l’ingénieur du son Geoff Emerick, préposé aux trouvailles techniques en tout genre : micros dans les pavillons des cuivres ou attachés aux violons, écho sur les voix (en particulier pour Lennon, qui ne s’aimait pas au naturel), oscillateurs variant la vitesse des pistes instrumentales ou vocales, sans oublier les bandes à l’envers déjà expérimentées sur l’album Revolver.Entre une tasse de thé et un petit joint sur le toit du studio, les Beatles ne se refusent aucune fantaisie, sachant qu’on accédera à tous leurs désirs pour un budget quasi illimité.

 

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2. Un concept tu imagineras

 

 

En février 1967, quelques morceaux sont déjà mis en boîte : Penny Laneet Strawberry Fields forever, deux retours à leur enfance liverpuldienne, rapidement éliminés de l’album pour sortir en simples sous la pression du label ; When I’m sixty-four, au charme suranné, et le nettement plus rock Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Paul McCartney, qui a imaginé le personnage du sergent, pointe alors un index sur sa tempe et s’ouvre à ses collègues d’une idée brillante : et si on n’était plus les Beatles, mais la troupe du Sergent Poivre ? Et si on se costumait ad hoc ? Et si on brodait tout l’album sur ce motif-là ? Selon les sources, l’enthousiasme des trois autres fut plus ou moins grand. Mais tout le monde dès lors joue le jeu. Ringo, qui pousse sa chansonnette sur mesure, With a little help from my friends, est rebaptisé Billy Shears. Le reste de l’album est diversement dérivé du concept. Lennon s’inspire d’une vieille affiche de cirque pour Being for the benefit of Mr Kite ! D’un dessin de son fils Julian pour le lewiscarrollien Lucy in the sky with diamonds, dont les initiales, ô coïncidence, font LSD. Et de la lecture du journal pour A day in the life. On note l’absence de pause entre les chansons, soulignant l’idée d’un album envisagé comme un tout, un objet propre et non une collection – l’ère du single a vécu. Si fumeux soit-il, le concept de Sgt. Pepper’s répond au besoin des quatre de se réinventer comme un groupe différent – sans oublier le goût légendaire des Anglais pour le déguisement. Restait à traduire visuellement cette hybridation fantaisiste entre une fanfare edwardienne et l’âge psychédélique.

 

 

3. Le visuel tu soigneras

 

 

Pour Revolver (1966), c’était un collage de Klaus Voormann qui rompait avec la traditionnelle photo de groupe mais pour un prix modique (l’artiste est un vieux copain du groupe) et en noir et blanc. L’objet Sgt.Pepper va se déployer dans un luxe inédit : pochette ouvrante, à l’intérieur les Quatre, moustachus et en grand apparat sur fond citron, au dos les textes des chansons (une première), et encore, glissés en plus du disque, un jeu de découpages (badges, moustache et galons du sergent…). Mais le summum est bien sûr la photo de couverture, où les Beatles posent entourés de prestigieux figurants en carton et de quelques statues de cire (dont les « anciens » Beatles en costard-cravate) : Bob Dylan et Marlon Brando, Marlene Dietrich et Marilyn Monroe, Laurel et Hardy, Oscar Wilde et H.G. Wells, cinquante-sept people en tout, dont un lot de gourous choisis par George Harrison. Une lettre d’agrément fut envoyée à ceux d’entre eux qui étaient vivants. Lennon avait suggéré Jésus et Hitler, finalement écartés de la liste. Conçue par Peter Blake et Jann Haworth, réalisée par Robert Fraser et Michael Cooper pour la photo, la pochette de Sgt. Pepper’scréait l’événement avec son budget d’environ 3 000 £, une somme inhabituelle pour emballer un disque. Elle sera l’une des plus copiées et détournées de l’histoire et fait figure aujourd’hui d’œuvre pop art à part entière. Elle prélude aux délires graphiques des années 70, quand le design des pochettes rock et pop deviendra un enjeu créatif, pour le meilleur et pour le pire. Les Beatles eux-mêmes prendront dès l’album suivant le contre-pied de cette saturation de couleurs : ce sera le fameux double blanc, traduisant l’envie de se redessiner une virginité – en faisant cette fois chambre à part.

 

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4. Aux musiques du monde tu t’ouvriras

 

 

George Harrison était le plus empressé des quatre à en finir avec le cirque des tournées tambour battant. Il a même songé à quitter le groupe. Son esprit était ailleurs, du côté de l’Inde et de ses joueurs de sitar, et son corps épuisé ne demandait qu’à le suivre. Six semaines passées là-bas le convertirent un peu plus aux enseignements musicaux de Ravi Shankar et spirituels de maîtres hindouistes. A ceux-ci, on devra l’engouement des Beatles pour le fameux yogi Maharishi Mahesh. A Shankar, nouvelle attraction des grands festivals américains (Monterey en juin 1967, plus tard Woodstock), peut être imputé le rôle pionnier du guitariste taciturne dans l’ouverture de la pop aux musiques modales, voire atonales. D’autres peuvent réclamer leur part d’influence, tels le ménestrel californien David Crosby ou le troubadour écossais Donovan. Le son du sitar s’est répandu dès 1966, de Paint it black (Brian Jones avec les Rolling Stones) au Fifth Dimension des Byrds (avec Crosby), et déjà dans le Revolver des Beatles, après le ballon d’essai de Norwegian Wood. Mais Within you, without you, qui ouvre la seconde face de Sgt. Pepper, est le premier morceau pop où semble infuser complètement la musique indienne, avec sa dimension spirituelle. Pour Harrison, dont les tentatives étaient souvent retoquées par les prolifiques Lennon et McCartney, c’était comme un passe-droit. Temporaire, car il lui fallut attendre de se lancer en solo pour avancer plus loin dans ces territoires exotiques. On parlera plus tard de world music…

 

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5. Un orchestre symphonique tu emploieras

 

 

Les Beatles ne sont certes pas les premiers à convoquer un orchestre au complet pour accompagner une chanson pop. Certains producteurs (Johnny Franz) et arrangeurs (Ivor Raymonde, Wally Stott, Reg Guest) s’en sont même fait une spécialité au service de Dusty Springfield ou des Walker Brothers, champions d’une pop mélodramatique qui cartonne en 1965-1966. Mais l’ambition de Lennon et (surtout) de McCartney pour A day in the life est spécifique, et l’appui de George Martin, rompu aux pratiques de la musique classique, leur est précieux. Il s’agit de construire une atmosphère, d’intégrer l’ensemble orchestral à la dynamique du morceau, pour faire de celui-ci plus qu’un collage entre les couplets écrits et chantés par Lennon et le pont imaginé par McCartney – une fresque musicale. On citera les influences de John Cage ou de Stockhausen mais McCartney était encore plus sûrement obsédé par l’idée d’aller plus loin que Brian Wilson, son rival des Beach Boys, qui, avec Pet Sounds l’année précédente, avait mis la barre très haut en dirigeant dans un studio de Los Angeles une variété inédite de cordes, cuivres, claviers et percussions. Le crescendo dément d’A day in the life, exécuté par quarante musiciens empruntés aux London et Royal Philharmonic Orchestras, résonnera comme un coup de tonnerre dans les conventions de la pop. Jusqu’à ce que l’usage généralisé des synthétiseurs fasse des arrangements « symphoniques » un nouveau standard. Mais, en 1967, on en est encore au mellotron… que les Beatles utlisent avec parcimonie (Strawberry Fields forever).

 

 

6. Un chef tu désigneras

 

 

La démocratie dans un groupe de rock s’est toujours heurtée aux problèmes d’ego. Même des bons copains comme étaient les Beatles ne pouvaient y échapper. Leur attelage dès le début trouvait son équilibre avec deux personnalités dominantes, Lennon et McCartney, qui écrivaient quasiment toutes les chansons et les chantaient ; un batteur boute-en-train qui s’accommodait d’être en retrait, Eingo Starr:et un guitariste plus jeune et inhibé, George Harrison qui rongeait son frein. 1967 est l’année du triomphe de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, mais un événement moins heureux marque à la fin de l’été la vie des Beatles : la mort de leur manager, Brian Epstein, qui les laisse désemparés et un peu orphelins. Paul McCartney s’est déjà affirmé comme l’homme fort de Sgt. Pepper’s, auteur du concept, premier responsable de sa direction musicale et le plus assidu à sa réalisation. Le temps du deuil passé, il s’impose naturellement comme l’élément moteur de la bande. Magical Mystery Tour est encore une de ses idées. Les autres suivent, bon gré mal gré. Au temps des tournées incessantes, il était plus facile à John et Paul d’écrire ensemble, de se renvoyer la balle. Maintenant que c’est chacun chez soi, le génie un peu flemmard de Lennon est moins enclin à se réveiller, d’autant qu’il vient de rencontrer Yoko Ono (et consomme des drogues en abondance). Le naturel de McCartney, productif et mieux organisé, prend le dessus. Il survit aux rumeurs qui l’annoncent mort. C’est chez lui que « l’envie de Beatles » reste la plus forte. Et c’est lui aussi qui le premier prendra acte de l’harmonie brisée.  

 

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