Aller au contenu

Morphine sans modération


serdam

Messages recommandés

 

 

Morphine sans modération

 

 

 

morphine-sans-moderation,M399833.jpg&key=5924d99647a32348e1eb8167affbfa1d7175e55cbc4b1a02329c43009c315b25

 

 

 

 

 

 

Dans les années 90 surgit de Boston un trio qui joue un rock à nul autre pareil. Et pour cause : il a remplacé la guitare par un saxophone. Le résultat est saisissant, l’histoire du groupe, fulgurante. En 1995, il est au sommet avec “Cure for pain”. En 1999, son leader meurt sur scène.

Qui sait encore que le chanteur de Morphine est mort en scène ? C’était à la fin du deuxième morceau, un soir de l’été 1999, à Palestrina, près de Rome. Il venait de Boston, il avait 47 ans. Qui se souvient simplement de lui, Mark Sandman, et de son groupe, qui fut l’une des grandes aventures des années 90, celles de Nirvana et de Tupac Shakur ? Morphine ne ressemblait à rien de ce que l’on écoutait à l’époque, c’est-à-dire à la fin du siècle dernier. Le trio de Cambridge, dans le Massachusetts, s’était choisi une combinaison à nulle autre pareille.

 

Sur le papier, rien de gagnant, mais une claque à l’arrivée. Une basse à deux cordes (pourquoi deux cordes ?), une batterie et un saxophone. Comme l’écrivait Serge Loupien dans Libération, leur grande force était là : « avoir converti, un siècle après sa mort, Adolphe Sax au rock’n’roll ». Des saxos rock, on en avait déjà entendu. Des saxos fous (Van Der Graaf Generator , des saxos fiévreux (Bobby Keys avec les Stones ), des saxos mièvres (beaucoup). Rien de comparable au souffle de Dana Colley, en toute première ligne du groupe, un souffle rythmique, brut, minimaliste, tendu vers l’avant, tout plein d’un romantisme qui collait aux compositions de Mark Sandman et à son timbre de crooner new wave.

 

 

Une musique orageuse née d'un pari de surdoués

 

 

Dana Colley était la cheville ouvrière, et la belle anomalie de Morphine, Mark Sandman en était le leader incontesté, le chef d’orchestre et le penseur. On l’avait rencontré, au milieu des années 90, dans un hôtel près de la gare de Lyon, après avoir été impressionné par la force tellurique des deux premiers Morphine, notamment du deuxième, Cure for pain, qui ressemblait au ciel d’orage photographié en couverture. Malgré la furie des concerts et la simplicité organique de la musique, Sandman ne cachait pas la part de ruse et de réflexion qui entrait dans sa musique. Morphine, avouait-il, était une invention d’étudiants, un pari de surdoués, « un défi intellectuel », une vue de l’esprit tellement bien vue qu’elle en paraissait instinctive.

 

 

 

Avant d’imaginer cette formule, entre bien d’autres, Sandman avait écumé le circuit alternatif en jouant du country-rock au sein de Treat Her Right. Il s’imposait déjà des contraintes à la Perec  (une guitare à deux cordes, un seul fût pour la batterie), mais ça n’avait pas impressionné grand monde. Morphine n’a fait que tenir la même ligne tout en l’emmenant ailleurs, et d’un coup il a ramassé la mise. « J’ai l’impression que nous partageons les mêmes valeurs que la musique country. Mes modèles viennent de là : Patsy Cline ou Hank Williams. Direct et dépouillé. On ne se perd pas en solos plus ou moins chauds. Chaque note est là pour une raison précise. Il n’y a pas d’individualités mais un ensemble. »

 

 

 

 

Grillant une à une les Marlboro qui finiraient sans doute par avoir sa peau, Sandman citait aussi Led Zeppelin et Hendrix. Et les bluesmen. Muddy Waters, John Lee Hooker et leur sens de la dynamique pendue à un fil de plomb. « Nous voulions retrouver cette énergie,disait-il. La faire nôtre en en changeant les ingrédients. Imposer notre règle du jeu. Supprimer la guitare et ses distorsions qui font immanquablement battre le pouls des adolescents. » Un groupe de rock sans guitare mais un groupe qui swingue. Ça marche à la perfection (quasi) le temps de trois albums. Cure for pain, sorti en septembre 1993, est idéalement placé à mi-chemin.

 

 

Mark Sandman, branché sur la sono mondiale

 

 

Passé l’effet de surprise de Good, le coup d’essai (paru aux Etats-Unis en 1992, découvert l'année suivante en France, où il affole les critiques), le groupe se surpasse pour garder le cap sans faire un pas de côté. L’intro de Buena est à tomber, du rockabilly dans l’air, la morgue d’un Lou Reed dans les strophes de Mark Sandman et dans sa voix de chaman new wave autour de laquelle viennent s’enrouler les riffs de saxophone. A cette époque, ils peuvent tout faire, citer le Velvet dans des ballades vénéneuses (Candy), la jouer orgiaque (Let’s take a trip together)ou tendu jusqu’à l’os (All wrong). Pas un bémol dans la presse, pas l’amorce d’une mauvaise critique. Ils ne se font pas de souci pour la suite. Ils n’ont qu’à étoffer leur musique. Ce qu’ils font avec parcimonie sur Yes, l’album de 1995, avec quelques pianos épars et une pluie de violons.

 

 

Mark Sandman a des idées plein la tête. Il lit sans cesse, peut citer n’importe quelles nuances du roman noir, de Jim Thompson  à Elmore Léonard . Il collectionne les cassettes, écoute de la musique du monde entier, particulièrement branché sur le phrasé des chanteurs arabes. Il pense avoir toujours un coup d’avance. Dans cet hôtel parisien, il raconte qu’il va enregistrer tout un orchestre égyptien, et n’en gardera que l’essence, les tonalités basses. « Ça sonne, non ? », demande-t-il. Il imagine des formules musicales comme un savant en surchauffe voit des équations scintiller devant ses yeux. Il pense pouvoir mener toutes les expériences. Mais la formule magique n’a qu’un temps. A la fin des années 90, ceux qui aimaient Morphine commencent à décrocher. Trop de répétitions, pas assez de variations. Quand il s’écroule sur scène, Mark Sandman est aux portes de l’oubli. Il est plus que temps de le redécouvrir.

  • Like 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...