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Lou Reed,bête de rock


serdam

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Lou Reed, bête de rock

 

 

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Quelques mois avant sa disparition, Lou Reed avait supervisé la restauration de sa discographie. En vinyle, seuls six albums majeurs sont réunis en coffret, dont le live “Rock’n’Roll Animal”, vilain petit canard hard rock dont on se fait une joie de chanter les louanges. 

Comme son ami Bowie, Lou Reed avait préparé un testament discographique. Moins sophistiqué, moins planifié (semble-t-il). Il s’est contenté de s’enfermer avec l’ensemble de ses disques, pendant l’été 2013, dans un studio new-yorkais. Il ne s’est pas plongé dans les fonds de tiroirs, pas trop son genre, mais il a fait ressortir les vieilles bandes pour les nettoyer et les remettre au goût du jour, utiliser les nouvelles technologies afin de leur donner du relief. D’après son complice Hal Willner, l’auteur d’Heroin s’est lancé dans l’opération avec l’exigence malade qui était la sienne et il était parfois ému aux larmes par ce qu’il entendait. « Les fantômes de différentes époques planaient dans la pièce, écrit le producteur. Nous sentions que Lou Reed s’apprêtait à nous quitter mais nous ne voulions pas l’accepter – lui non plus. Sa capacité à s’accrocher à la vie était contagieuse. » Le week-end précédant sa mort, le chanteur a invité ses amis chez lui, et leur a demandé de lui passer des disques. « Il en avait la chair de poule. Cette image reste gravée en moi. »

 

 

 

Son dernier engagement musical est donc la restauration de sa discographie. Les albums qu’il laisse derrière lui ont un nouvel éclat. Rien de plus. Pas d’inédit, pas de chute de studio, pas d’enregistrement fantôme. Comme son homologue frenchy de Saint-Cloud, Gerard Manset , Lou Reed est plutôt du genre à trancher. Il a profité de la mise en œuvre de son intégrale pour se débarrasser de ce qu’il jugeait superflu, un concert made in Italy.Et le Live de 1975, deuxième volet de Rock’n’Roll Animal. Il jugeait sans doute que ça allait bien comme ça. Dans la version vinyle du coffret, le tri est encore plus radical, donc intrigant. Six disques. Cinq albums studio. Le premier, enregistré à la dissolution du Velvet, tombe à l’eau, et d’autres avec lui. Et Rock’n’Roll Animal au milieu, monstre mal-aimé d’une époque (très) fertile et complexe, un album live de 1974 (enregistré fin 1973), dont le son puissant est à présent lustré comme le poil d’un pur-sang.

 

 

Une production efficace, un son dantesque

 

 

Rock’n’Roll Animal a été enregistré à l’Academy of Music, dans la 14e rue de New York, un vieux cinéma de trois mille places déjà décati à l’époque et qui allait devenir le Palladium, boîte à la mode, avant d’être balayé par la spéculation immobilière. Passé le choc de la pochette, le disque est singulier, mal taillé pour sa discographie et assez peu raccord avec son image de l’époque. Il n’en a pas moins fait découvrir Lou Reed à toute une génération d’ados américains, en raison d’une production efficace et brillante calibrée pour les stades et les stations de rock FM. Le son est dantesque. Lou Reed, lui, est à peine là. Il l’était rarement à l'époque. Les musiciens font le show, menés par un fantastique duo de guitaristes, Dick Wagner et Steve Hunter, qui s’en donnent à cœur joie (beaucoup trop pour certains) et que le mixage place loin devant les autres.

 

Lou les connaissait à peine. Il ne les a sans doute pas recrutés lui-même, laissant les clés du chantier à son producteur du moment, Steve Katz, un ancien guitariste de Blood, Sweat and Tears, assez porté sur le blues-rock plutôt massif. Il ne leur adressait la parole ni avant ni après les concerts, encore moins pendant. « La première fois que j’ai eu une discussion avec lui, c’était dans les années 2000, quand nous avons repris Berlin », raconte Steve Hunter. Autant qu’il s’en souvienne, le guitariste se contentait d’assurer et de s’éclater avec des morceaux sur lesquels il lui arrivait de se chauffer quand il jouait, à Detroit, dans le groupe de Mitch Ryder. C’est lui qui a écrit l’introduction épique de Rock’n’Roll Animal, une longue montée assez jouissive à deux guitares qui débouche sur le riff de Sweet Jane (certains soirs, c’était Vicious).

 

 

 

Au comble de la dinguerie malsaine

 

 

Pour les ados qui ont découvert Lou Reed avec ce disque, la pochette faisait déjà l’affaire, au point de devenir un fétiche absolu. Une simple photographie de concert dont l’auteur semble avoir disparu corps et bien. Dans la lumière dorée, Lou Reed a tout l’air de ce qu’il était à l’époque, un vampire rock, un animal en souffrance qui se remettait mal de l’échec de l’ambitieux Berlin, publié quelques moins plus tôt. Au comble de la dinguerie malsaine, le chanteur portait rouge à lèvres, collier et bracelet SM comme dans un cabaret pourri et – ce qu’on ne voit pas sur la pochette – une croix gammée dessinée dans les cheveux ras. Le journaliste londonien Nick Kent, amateur parmi les amateurs, lui avait donné rendez vous à New York pour l’interroger sur ce Rock’n’Roll Animal qu’il n’aimait pas (comme bien d’autres fans du Velvet qui reprochaient au chanteur d’avoir gommé les aspérités), et le récit de cette rencontre est resté dans les annales (traduit en français dans son recueil L’Envers du rock).

 

« Il (Elle ? Ça ?) se tenait debout dévisageant le monde comme un clebs mexicain mort de faim auquel une horrible erreur du destin aurait donné forme humaine. » D’après l’envoyé spécial du New Musical Express, la maigreur du chanteur faisait peur et sa consommation de speed lui donnait l’air d'être branché sur une centrale atomique. Comme beaucoup des interviews données par Lou Reed, le tête-à-tête a tourné au dialogue de sourds. Nick Kent voulait parler de Berlin et des douleurs que sa gestation avait occasionnées. Le chanteur n’en disait pas grand-chose. Et sur Rock’n’Roll Animal,avec lequel il serait moins tendre plus tard, il était catégorique. On y entendait comme jamais l’esprit rock qui colle à ses chansons, y compris celle du Velvet. « Elles ont été composées pour être jouées comme ça. Et ça n’avait encore jamais été le cas. Maintenant c’est fait. Correctement. »

 

Malgré quelques lourdeurs et absurdités d’époque, l’Animal en question est vraiment envoûtant. Dans tout le fatras de leurs solos en pagaille, les guitaristes, qui se sont aussi illustrés avec Alice Cooper (Welcome to my nightmare),tiennent un cap incisif et mélodique qui dope Lou Reed et le poussent vers des interprétations tendues et théâtrales de ses chansons (excitante version du Lady Day de Berlin). Ils se foutent de la poésie et des poses (ils en ont assez bavé pendant l’enregistrement de Berlin), ils ne s’intéressent qu’à la performance et font sortir la bête. Ils sentent qu’ils ont le feu aux trousses : le groupe sera sabordé en quelques mois. « Il faut jouer cet album à très fort volume », écrivait un critique de l’époque pour résumer son avis. A vrai dire on ne s’en lasse pas.

 

 

 

 

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