Aller au contenu

L’irresistible ascension de Netflix


serdam

Messages recommandés

 

 

 

 

Panique à Hollywood 

 

 

ouv_1_0.jpg?itok=PS5HR-c_%26sc=8a17b301d9710be4b1ab0a61a79a2818&key=98d866f9740b1c2fee5a20558d2f9fb08a979f43633fe131ed73708ab8b83c75

 

 

 

 

 

En investissant massivement dans la production de films et de séries, la plateforme de distribution en ligne s’affirme comme l’un des acteurs essentiels de l’industrie du divertissement. Une évolution qui déstabilise les chaînes traditionnelles, affole Hollywood et attise l’appétit des autres géants du Net.

Will Smith va-t-il réussir à mater la dangereuse Los Angeles ? C’est toute l’intrigue du tapageur Bright, premier blockbuster de Netflix, qui nous plonge dans un avenir incertain peuplé de créatures étranges. C’est aussi la question qui tourmente actuellement la Mecque américaine du cinéma, alors que le géant du streaming nourrit un appétit toujours plus féroce pour le septième art. Films, séries, télé-réalité… Cette année, la plateforme de SVOD (service de vidéo à la demande par abonnement), qui compte 110 millions d’abonnés à travers le monde (dont 1,5 million en France), va dépenser entre 7 et 8 milliards de dollars pour étoffer son catalogue. Un record, avec lequel personne ne peut rivaliser, pas même les mythiques studios hollywoodiens.

 

En quelques années, Netflix a bouleversé la manière dont les spectateurs regardent la télévision, en popularisant le visionnage par abonnement à la carte et à volonté. Mais cette révolution ne se fait pas sans couper des têtes. Les chaînes traditionnelles sont déstabilisées. Et Holly­wood frôle la crise cardiaque : les salles obscures attirent moins de spectateurs et les mastodontes du secteur de la « tech », comme Amazon et Apple, ont eux aussi annoncé leur intention d’investir massivement dans la production de films et de séries. La fin d’un monde ? Il y a quelques mois, le magazine Variety,bible américaine du show-business, consacrait sa une au séisme en cours. En titre, une image qui en dit long sur l’inquiétude du milieu : « Scary movie », littéralement « film effrayant », clin d’œil à la parodie de film d’horreur sortie en 2000.

 

im2.jpg?itok=MWXvlzcn&key=fd6ba1b41702da27e724f8e39912696bf768c618bdbc5f52c1cb6030ea9d62d9

 

 

 

L’ogre qui a toujours faim

 

 

Qu’ont en commun Martin Scorsese, les frères Coen, la puissante créatrice de Grey’s Anatomy, Shonda Rhimes, et l’ex-star des « late shows » américains David Letterman ? Tous font désormais partie de l’écurie Netflix. Le premier va réaliser The Irishman,un polar sanglant sur la mafia avec ses acteurs fétiches Robert de Niro,Al Pacino,Joe Pesci. Les Coen vont diriger un ambitieux western en six épisodes. Après quinze ans de fidélité à la chaîne ABC, Shonda Rhimes  a signé pour développer ses séries pour la plateforme, et David Letterman pour lancer sa collection d’interviews approfondies.s’est offert un prestigieux invité Barack Obama 

 

Qu’il paraît loin le temps où Netflix, fondé en 1997, était un simple service de location de DVD par correspondance ! Aujourd’hui, grâce à sa stratégie entièrement tournée vers la vidéo en ligne légale et payante, l’entreprise californienne installée à Los Gatos a conquis cent quatre-vingt-dix pays, pèse plus de 70 milliards de dollars (autant que le PIB du Kenya) et s’affiche comme l’une des plus flamboyantes réussites de l’industrie du divertissement. D’autant que l’entreprise pratique sans retenue l’optimisation fiscale, n’hésitant pas, par exemple, à transférer son siège européen de Paris au Luxembourg.

 

Avec ses offres à environ 10 euros par mois, Netflix enterre le modèle des chaînes premium. En France, Canal+ fait face à une hémorragie inédite de ses abonnés.

 

Ces dernières années, grâce à des études fines sur les attentes de son public, elle a tenu en haleine les amateurs de politique avec les coups tordus de House of cards,attendri les quadragénaires nostalgiques avec les gamins de Stranger Things, relancé le genre du documentaire judiciaire avec les rebondissements de Making a murderer… « D’outsider, Netflix est clairement devenu un acteur incontournable, comme une grande chaîne historique, analyse Joshua Gans, professeur de management stratégique à la Rotman School of management et spécialiste des nouvelles technologies. La plateforme a bouleversé la télé américaine et va faire de même partout dans le monde. »

 

Avec ses offres à environ 10 euros par mois, Netflix enterre le modèle des chaînes premium. Aux Etats-Unis, vingt-deux millions de téléspectateurs ont déjà résilié leur abonnement au câble (qui leur coûtait 100 dollars en moyenne par mois). En France, Canal+ fait face à une hémorragie inédite de ses abonnés et à dû revoir le montant de ses offres commerciales à la baisse. Difficile de riposter, tant la plateforme multiplie les fronts. Sous la houlette de son nouveau monsieur cinéma Scott Stuber, Netflix a ainsi annoncé la sortie de quatre-vingts films en 2018, soit plus que Disney, Warner Bros et Universal réunis.

 

Chez Netflix, les budgets sont confortables, les délais de décision réduits, et la liberté artistique se révèle quasi totale. Des scénaristes, producteurs et réalisateurs pointent néanmoins une désagréable impression de travail à la chaîne.

 

Face au raz de marée, le milieu du cinéma se déchire. D’un côté, les scénaristes, producteurs et réalisateurs sont ravis. Chez Netflix, les budgets sont confortables, les délais de décision, réduits, et la liberté artistique se révèle quasi totale – rien à voir avec Hollywood, où les grands studios semblent obsédés par les blockbusters calibrés pour jeunes adultes en mal de sensations. De l’autre, l’obstination de Netflix à voir la sortie des films en salles comme un « romantisme dont il faut se débarrasser », selon les mots de son patron des programmes, Ted Sarandos, provoque le malaise. Certains se plaignent aussi que leurs œuvres se noient dans les profondeurs du catalogue, à l’intérêt disons variable. Une désagréable impression de travail à la chaîne, qui n’est pas près de se dissiper, vu la compétition toujours plus vive du secteur. Confirmation d’un expert américain : « Netflix a construit son empire sur la quantité, pas sur la qualité. »

 

im3.jpg?itok=3-e13VFr&key=a2ddd61e0b30dfd91c116fccc2f2491c876ae6c73614461de3d7cec82aec8f1a

 

 

 

Un échiquier bouleversé

 

 

« C’est la confusion la plus totale ! » Le journaliste Tim Goodman, qui observe depuis des années l’industrie de la télé et du cinéma pour le magazine The Hollywood Reporter, est formel : Netflix a mis un sacré bazar sur l’échiquier holly­woodien. Réputée depuis vingt ans pour ses séries de qualité, à l’image de la mafieuse Les Soprano, la chaîne payante,HBO a beau jouer officiellement la carte de la serenité ,vanter son savoir-faire et rappeler que sa dernière grande série, Game of thrones, a rassemblé 33 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis, elle se sait menacée. Cette année, elle riposte en développant sa plateforme de vidéo en ligne HBO Now. Mais elle doit surtout, en prévision de la fin de Game of thrones, dont l’ultime saison sera diffusée en 2019, dénicher une nouvelle pépite, capable d’éblouir le monde…

 

Avec l’offensive ciné de Netflix, la panique atteint les grands studios hollywoodiens, dépassés par les ambitions astronomiques de la compagnie californienne et fragilisés par l’érosion du box-office américain, en déclin depuis trois années consécutives. Séduits par le streaming, les jeunes préfèrent de plus en plus se faire une soirée ciné depuis le canapé de leur salon plutôt que de payer 10 dollars (sans le pop-corn !) pour une projection sur grand écran. Selon une étude du Pew Research Center, 61 % des 18-29 ans ont désormais adopté le visionnage en ligne. Même engouement de ce côté-ci de l’Atlantique, où Médiamétrie estime à 40 % la hausse en un an du nombre d’utilisateurs de services de SVOD.

 

« Disney devient le concurrent le plus sérieux de Netflix, avec un catalogue de films impressionnant, qui inclut Star Wars et X-Men. » Tim Goodman, journaliste

 

Le mois dernier, Disney a deguainé le premier en annonçant racheter une bonne partie de la 21 th Century Fox détenu par le clan Murdoch, pour plus de 50 milliards de dollars. « Cette opération change complètement le paysage de l’entertainmentaméricain, explique le journaliste Tim Goodman. Il fait de Disney le concurrent le plus sérieux de Netflix, avec un catalogue de films impressionnant, qui inclut Star Wars et X-Men. » Surtout, la multinationale renforce sa présence en ligne avec la prise de contrôle de Hulu, la plateforme qui a impressionné les critiques avec sa série féministe The Handmaid’s tale et compte lancer dès l’année prochaine son propre service de visionnage par abonnement. Les princesses Disney, comme tous les autres héros de la maison, vont y être rapatriées et disparaître des écrans Netflix.

 

Assez pour déstabiliser le leader, qui s’est assuré 75 % du marché du streaming aux Etats-Unis ? La plateforme de l’hilarante série Orange is the new black et de la glaçante Mindhunter bénéficie d’une sacrée avance. Mais elle est toujours dépendante des studios pour remplir son immense catalogue, et les colosses de Hollywood n’ont pas dit leur dernier mot. En novembre, le géant des télécoms AT&T a failli se marier à la compagnie Time Warner (Harry Potter, Batman…) pour créer un super-studio qui contrôlerait toute la chaîne de production et de distribution. Pour l’heure, la cellule antitrust du ministère américain de la Justice bloque la transaction. Mais d’autres méga rapprochements devraient avoir lieu. Pour le « vieux » Hollywood, c’est une question de survie.

 

 

La nouvelle ruée vers l’or

 

 

Pendant des semaines, leurs rendez-vous ont alimenté toutes les rumeurs. Zack Van Amburg et Jamie Erlicht, les anciens présidents de Sony Pictures Television, rencontraient tout ce que Hollywood compte de scénaristes et de producteurs. Il y a quelques années, le duo a lancé Breaking bad, la série culte sur un prof de chimie reconverti en fabricant de drogue. Aujourd’hui, les deux têtes chercheuses ont été débauchées par… Apple. Leur objectif : trouver le prochain Game of thrones qui permettra à la firme de faire une entrée fracassante dans le monde des séries.

 

Apple a décidé de faire son nid à Hollywood. Cette année, elle va investir 1 milliard de dollars pour une dizaine de programmes annoncés. Personne ne sait encore comment ils seront diffusés — sur l’Apple TV ? sur iTunes ? —, mais le rayonnement de la marque a suffi à attirer les plus grands noms. Heureuses élues, Jennifer Aniston et Reese Witherspoon sont prévues dans une série sur l’univers de la télé, alors que la société de production de Steven Spielberg va ressusciter Histoires fantastiques, la collection des années 1980.

 

Les bénéfices de Netflix excitent l’appétit des titans du Web. Pour 1 milliard de dollars, Facebook va développer ses propres vidéos. Amazon va investir cette année 4,5 milliards de dollars dans ses productions.

 

Si la révolution en cours fait peur aux studios, elle excite l’appétit des titans du Web. Attirés par les profits (les bénéfices de Netflix se montent à 130 millions de dollars au troisième trimestre 2017) et disposant des technologies pour se lancer rapidement, ils veulent tous leur part du gâteau. Mais il faut faire vite et réussir à se distinguer des concurrents, car personne ne sait à combien de plateformes les télé­spectateurs sont prêts à s’abonner.

 

Pour 1 milliard de dollars, Facebook va développer ses propres vidéos – des séries courtes et des mini-documentaires. Plus ambitieux, le géant du commerce en ligne Amazon va investir cette année 4,5 milliards de dollars dans ses productions, longtemps sous-exposées. Au programme, notamment : du sport (dix matchs de la ligue professionnelle de football américain) et une méga-production destinée à tout rafler. Le site vient d’acheter les droits du célébrissime Seigneur des anneaux pour le décliner en série sur plusieurs saisons. Une bonne nouvelle après une fin d’année difficile, marquée par la mise entre parenthèses de la série Transparent et le départ du patron des studios Roy Price accusé de harcèlement secuel  Une nouvelle pierre, aussi, dans le monde du divertissement américain — mais aussi international —, que le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, reconfigure selon des priorités assez peu artistiques. « Remporter un Golden Globe, a-t-il récemment déclaré sans complexe, cela nous permet de vendre plus de chaussures. »

 

 

La bataille de France

« Nous aimons tellement le cinéma que nous voulons que tous puissent voir les films simultanément à leur sortie, en salles ou en vidéo à la demande. » C’est le mantra de Reed Hastings, le pdg de Netflix. Mais c’est impossible en France : la plateforme américaine, comme ses concurrentes CanalPlay ou SFR Play, ne peut diffuser un film que trente-six mois après sa sortie au cinéma, au nom de la chronologie des médias. Cette exception française, conçue pour assurer le préfinancement des œuvres par chacun des diffuseurs (salles, éditeurs VOD et DVD, chaînes de télé…), a permis de maintenir une industrie du cinéma dynamique dans notre pays. Mais, à l’ère d’Internet, elle a du plomb dans l’aile.

Les exploitants de salles et la plupart des distributeurs sont partisans du statu quo. Les producteurs, cinéastes et auteurs, eux, sont plus sensibles aux arguments de Netflix – et à ses dollars… Alain Chabat a ainsi avoué en décembre dernier, dans une interview au site Le Point Pop, qu’il tournerait « sans hésiter » un projet pour la plateforme.

Reed Hastings prévoit, d’ailleurs, de « produire du contenu français et d’investir dans la création, afin d’apaiser les tensions avec le secteur ». Netflix assure qu’elle dépensera cette année 40% de plus qu’en 2017 pour des achats de productions Made in France.Pas de films en vue (pour l’instant), mais des stand-up de comiques et, surtout, des séries. La saison 2 de Marseille , avec Gérard Depardieu, sera en mise en ligne le 23 février. Et Netflix annonce pour le second semestre une série d’anticipation, Osmosis, créée par la talentueuse Audrey Fouché, scénariste-réalisatrice passée par la Femis puis par l’atelier d’écriture de Tom Fontana (Oz) aux Etats-Unis. Ce n’est que le début… –

  • Like 3
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

×
×
  • Créer...