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“Faute d'amour”, une allégorie féroce et magistrale de la Russie actuelle


serdam

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“Faute d'amour”, une allégorie féroce et magistrale de la Russie actuelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Andreï Zviaguintsev explore à nouveau la perte des sentiments avec l’histoire de la disparition d’un enfant, oublié par des parents égoïstes devenus ennemis...

 

Derrière la porte d’une salle de bains, il pleure à gros sanglots silencieux : son petit visage est révulsé de douleur sans que ses parents, en plein divorce et en pleine dispute, ne remarquent ni sa présence, ni son angoisse, ni sa douleur. Le lendemain, il disparaît… Il faut presque trente-six heures à son père, à sa mère pour s’apercevoir de sa fuite. Maintenant, c’est tout juste s’ils ne se servent pas de cette fugue — un enlèvement, peut-être — pour alimenter leur ran­cœur. Comme si la haine l’emportait sur le chagrin. Comme si le plus important, pour eux, était de s’accuser mutuellement d’indifférence, devant un flic débordé qui se moque de leurs problèmes, puis devant un membre, nettement plus attentif, d’une organisation privée, la seule capable, en Russie, de retrouver des enfants égarés… Ils ne l’avoueront jamais, bien sûr, mais ce gamin de 12 ans était sinon une gêne, du moins un embarras dans leur future vie. Au point qu’ils avaient décidé de l’envoyer, tel un colis encombrant, comme pensionnaire dans une sorte d’institution. Pas vraiment un orphelinat mais presque… C’est qu’elle a déjà trouvé le nouvel homme de sa vie : un mec formidable, à la quarantaine sportive, aux finances rassurantes. Lui aussi a retrouvé l’âme sœur : une jeune femme, aussitôt engrossée, que l’on devine vaguement enfantine et possessive, à qui il a juré un amour éternel, comme il l’avait probablement promis à la précédente et le promettra à la suivante.

 

Dès son premier long métrage (Le Retour, Lion d’or à Venise en 2003), Andrei Zviaguintsev avait filmé le désert de l’amour : deux gamins finissaient par tuer le père après un périple envoûtant dans des villes vides et des lieux déserts. C’est la même perte de sentiment qu’il filme aujourd’hui, avec une cruauté décuplée et une élégance froide, totalement maîtrisée désormais, depuis les réussites formelles d’Elena(2011) et de Léviathan  (2014). Au début, il se plaçait volontiers sous l’influence de Michelangelo Anto­nioni : « Il a crée un monde à son rythme. Et le monde lui a dit : “Tu as raison. C’est ainsi qu’il faudrait vivre : marcher dans les rues, observer interminablement un porche d’immeuble ou un visage de femme pour les révéler à eux-mêmes.” » Aujourd’hui, il semble s’être trouvé un nouveau maître. C’est évidemment Ingmar Bergman qu’évoque Faute d’amour. La même férocité. Le même constat devant la disparition de toute transcendance chez l’homme : les êtres qu’il observe semblent tous avoir perdu leur âme, sans laquelle ils errent, en rage, à jamais solitaires, comme des ombres affolées.

 

Apparemment, le film ne parle que de la Russie. Ce magnifique et improbable pays où le peuple semble avoir remplacé Pouchkine par Poutine, où l’Etat règne avec une Eglise aux ordres, où un grand industriel peut se permettre de n’engager que des orthodoxes dûment baptisés et pratiquants, qu’il vire le jour où ils songent à divorcer… Mais le propos d’Andreï Zviaguintsev se veut, cette fois, plus universel. C’est l’« anamour » général qu’il débusque en épiant ces gens tout juste vivants à qui leur égoïsme sert de philosophie et de justification. Car enfin, s’ils n’aiment personne, c’est parce que nul ne les a aimés. Et s’ils ne donnent rien, c’est qu’ils n’ont rien reçu. Piètre excuse : de longues minutes, il filme, avec un effroi visible, un face-à-face terrifiant entre une mère et sa fille qui ferait passer, dans Sonate d’automne,l’affrontement entre Ingrid Bergman et Liv Ullmann pour une aimable bluette. On a rarement vu à l’écran une crudité aussi embarrassante, un désespoir aussi profond.

 

Certains considéreront sûrement Andreï Zviaguintsev comme un donneur de leçons. Comme les Slaves savent l’être, parfois : un Saint-Just mâ­tiné de Tolstoï. De toute évidence, il est proche de Tchekhov, qui étudiait à la loupe, mais avec indulgence, nos faiblesses. Avec tout de même, en lui, quelques gouttes d’un Dostoïevski ­furieux qui refuserait de capituler ­devant la bassesse et la corruption gé­nérales. D’accueillir, en Russie ou ailleurs, ce dieu destructeur et repoussant : Léviathan

 

https://www.youtube.com/watch?v=aFcliJvfodM

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