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“Barbara” de Mathieu Amalric : un poème kaléidoscopique


serdam

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“Barbara” de Mathieu Amalric : un poème kaléidoscopique

 

 

 

 

 

 

Critique

 

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Barbara et l’actrice qui doit l’incarner : sous le regard éperdu de Mathieu Amalric, deux divas se complètent, se confondent… Insolite et beau.

 

Frisson, dès le générique. On entend Barbara sans la voir. Elle parle, confusément, comme une écrivaine, c’est déjà une mélodie. Une chanson connue des « barbarophiles », Chanson pour une absente : « … C’est Paris, c’est un matin de novembre, qui n’est pas encore froid… » On mord à l’appât, on aime ça, on ne décrochera pas. Une actrice surgit ensuite (Jeanne Balibar), star avec garde rapprochée, qui revient de l’étranger. Elle s’appelle Brigitte, elle doit jouer la longue dame brune sous la direction d’un cinéaste roux (Mathieu Amalric , lui-même), veste en tweed, un brin timide, transi d’admiration. Pour la comédienne ou pour Barbara ? Les deux, sans doute. Ces louves magnifiques ne vont pas cesser de dialoguer à distance, de jouer ensemble, de se confondre, de permuter.

 

Autant prévenir, donc : ce Barbara,septième film de Mathieu Amalric, est un « antibiopic ». Aucun récit linéaire sur les épisodes clés de l’existence de la chanteuse — ce serait faire injure à l’imaginaire. Ce n’est pas la biographie qui intéresse l’auteur de Tournée (2009), mais l’esprit de la chanteuse, ses vertiges, ses sensations, ses émotions, qui déteignent si bien sur nous lorsqu’on l’écoute. Deux documents précieux lui servent de fil conducteur. L’un est le bouquin culte de Jacques Tournier (romancier et traducteur décisif de Gatsby le Magnifique), publié en 1968, Barbara ou les parenthèses. L’autre est le documentaire de Gérard Vergez réalisé durant la tournée de 1972, où l’on voit Barbara en voiture, côté passager, en train de tricoter, de divaguer ou de roucouler. Amalric refait jouer ces séquences par Jeanne Balibar. C’est si bien fait qu’on ne sait plus très bien laquelle est vraie, laquelle est fausse. On s’y perd, on s’y noie. C’est le but. Car Barbara est comme un parfum capiteux, une obsession. Impossible de l’aimer tièdement. Même si elle est folle ou sorcière — ce qui transparaît aussi.

 

 

Evocation. Hantise. Exercice de variation, de fragmentation. Poème kaléidoscopique. Voilà ce qu’est Barbara. Une envolée, un film en vers libres. Amalric, avec la complicité de celle qui fut sa compagne, s’amuse à composer, à improviser autour des gestes, des rites, des accessoires (lunettes noires, piano, boa…). Il montre comment a pu naître telle chanson (Je ne sais pas dire), comment la chanteuse de Nantes se préparait, répétait, habitait la scène bien avant ses concerts, comment elle envoûtait tous ceux qui l’entouraient. Son enfance de petite fille juive, la guerre, le père incestueux, la mère envahissante, c’est énoncé, mais en sourdine. Le formuler ainsi, c’est déjà trop en dire. Barbara n’aurait pas aimé, cela n’appartenait qu’à elle. Aussi Amal­ric procède-t-il par allusions ou révélations fugitives. Il dit énormément, mais en allant vite, en glissant, en surfant. Pour ne pas rompre le charme.

 

La Barbara fantasque, accro aux médocs, croqueuse d’hommes, capricieuse, tendre, autoritaire, drôle, dyslexique, affectionnant le cirque, les gens du voyage : tout est bien là. Orné, fantasmé, comme dans un rêve éveillé. Emblème : cette séquence splendide, de nuit, où Barbara, qui n’a pas le permis, tient le volant du jeune chauffeur (son amant musicien) qui s’est endormi, et roule ainsi un bon moment.

 

L’expérience comporte un risque : celui du film pour happy few. On utilise ce terme stendhalien à dessein : Amalric est fou du Rouge et le Noir. Ceux qui ne connaissent rien de Barbara pourront-ils apprécier ? On prend le pari que oui, pourvu qu’ils aiment le mystère de la musique. C’est-à-dire les soupirs, les échos, le murmure, le silence, tout ce dont le chant de Barbara est aussi constitué.

 

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